En vieillissant, je me suis reconnu dans ces profils doubles, ces profils alliant créativité et logique. Le premier à m'avoir épaté, c'est bien sûr l'ingénieur romancier, Boris Vian !
Il y en eut plusieurs. Je me souviens de cette lecture – je n'ai pas de mémoire photographique me permettant de savoir où les mots se situaient sur la feuille, mais ma mémoire épisodique me permet de savoir où j'ai lu ces mots, où ils me sont revenus en tête – dans laquelle Baudelaire disait de Poe que ce dernier avait une nature rare, alliant poésie et esprit mathématique. J'aimerais retrouver les mots de Baudelaire, qui étaient pénétrants, puissants, en vérité si évocateurs.
Je réalise, tandis que les années passent, comme cette observation n'était pas anodine.
Il me brûle d'exposer mes démarches dans ces deux branches, mais une superstition raisonnable me souffle que ce ne serait pas une bonne idée. Pas tout de suite. Pourquoi écrire ici que, d'octobre à décembre 2023, les soirs et le week-end, au café, j'ai retapé 101 189 mots de différents auteurs que j'aime et qui me nourrissent ? Pourquoi révéler que j'ai utilisé des techniques de scénarisation, comme le storyboard, pour un projet en prose ? Et pourquoi ne pas affirmer qu'en contraste, dans l'acte créatif même, j'ai puisé à une émotion brute qui eût fait sourire Bobin, qui a écrit promets-moi d’écrire la phrase dans son entier quand tu feras ce livre, sinon tu ferais de la littérature et il ne faut jamais faire de littérature, il faut écrire et ce n’est pas pareil, promets-moi ? Parce que ce n'est qu'une fraction de la pointe de l'iceberg, et que ça ne ferait pas justice à tout ce que j'ai entrepris.
Le Voldemort-littéraire-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom m'a déjà fait le plus beau cadeau qui soit, qu'il m'est arrivé de consulter périodiquement, lorsqu'il m'a écrit :
« Suis captivé par le parallèle entre la révélation progressive de ta parole et celle de ton image, ces deux parties du tout identitaire. J'y vois un signe de plus d'un travail orienté, lié, axé sur la construction de l'édifice plutôt que la seule fabrication de briques, ce trait frappant chez toi, plus même que ton talent déjà fort rare, pour la simple raison qu'il n'est pas rare, ce trait: il est rarissime. Or, sans lui, pas d'Oeuvre. Essaie, pour voir: je parie que tu peux nommer comme ça sans difficulté en une minute cinq ou dix Oeuvres sérieuses et même importantes bâties par des talents pourtant moyens. Ché pas, moi, Michener mettons, ou Galsworthy, ou Ducharme, ou Molière, ou Irving. Mais combien peut-on en nommer où le talent transcendant a suffi sans ce trait? Pas des masses, évidemment: déjà, tant de talents transcendants sont étouffés dans l'oeuf, tant d'autres étouffent leurs possesseurs, ou s'étouffent eux-mêmes (ceux dans l'oeuf, on sait pas leurs noms; les seconds, à titre d'exemples, seraient illustrés par Cocteau ou Capote, et Scott Fitzgerald, à l'écriture trop parfaite, me semble avoir été des troisièmes). Cocteau, Capote, F. Scott, trois talents transcendants, chacun ayant produit de transcendants ouvrages mais pas, en somme, d'Oeuvre. Pas d'édifice. Une pile de briques d'or demeure une pile de briques. Ça fait que, anyway, ce trait-là, si tu l'as, prends-en soin! »
Est-il besoin de préciser qu'il a stimulé ma vocation d'écrivain ? Oui, assurément, et je lève les bras aux ciels pour le remercier. Merci, vieux, tu as vu en moi un architecte littéraire.
Même en Voldemort, il devait bien y avoir un petit peu d'humanité, avant le carnage! ( Bon, c'est J.K Rowling qui se démarque par la violence de ses propos ces derniers temps, et plus que son personnage le plus sombre, d'ailleurs!)
RépondreSupprimerDes mots louangeurs sur ton talent, de cette plume que tu admirais, c'est effectivement à conserver près du cœur!
Ce sont des mots précieux en effet. Nommons-le à présent, surtout parce que Jean Barbe a annoncé son suicide et qu'il ne mérite pas d'être voilé d'une telle nuit : Mistral. Je veux écrire un billet pour lui rendre honneur, par ailleurs.
RépondreSupprimerC'est intéressant que tu parles de J.K. Rowling. L'écrivain en moi a été amusé par cette querelle planétaire menée à coups de gazouillis bien sentis, même si ça ne devrait pas. La saga me contredit peut-être, mais j'ai l'impression que c'est un truc d'écrivain. L'obsession du langage. Je me souviens de ce tweet, que je viens de retrouver, où elle écrivait : ‘People who menstruate.’ I’m sure there used to be a word for those people. Someone help me out. Wumben? Wimpund? Woomud?
L'idée que je vois derrière, c'est : n'attaque pas le dictionnaire d'un écrivain. Faisons une analogie avec un prêtre et son église. Imagine qu'un quidam entrerait dans une église et commencerait à désigner divers objets en tentant de changer leur nom ou leur utilité, le prêtre se fâcherait et voudrait expulser le bougre de son saint lieu. La langue est une sainte affaire aussi. Eh ! Ce que le prêtre ne sait pas, c'est qu'à l'extérieur de l'église, il y a tout un monde, avec des objets similaires, et que ces objets sont perçus différemment qu'entre ses quatre murs et sous son dôme.
Et à noter qu'une fois le bal des hostilités lancé, une fois que les deux camps se sont mis à s'asticoter, it can get ugly fast. Regarde Dave Chappelle qui en rajoute sans cesse, en tartinant le débat de blagues bien crues, aux États-Unis.
Bref, j'ai l'impression que J.K. Rowling mène une guerre linguistique contre des gens qui l'attaquent avec des points de vue idéologiques. À moins, bien sûr, qu'elle soit une brute des plus espiègles, sans l'ouverture d'esprit attendue lorsqu'on dispose d'une tribune baignant dans l'instantanéité comme X.