mercredi 10 juillet 2024

La version qui n'intéresse personne


Chère Sacha, chère Luna ! Cré Tom !

J'ai refermé le livre tout à l'heure, le cœur on the edge of his seat jusqu'à la fin.

C'était tellement vrai. Esti, c'est puissant, violent, ça torche.

Cette petite femme pleine d'âme à la voix douce a dû faire en sorte que Mistral se retourne dans sa tombe. On n'est pas censés parler de Mistral, il n'a jamais existé ! mais entre blogueurs, on peut bien se le permettre, non ? De son vivant, il semblait à tout prix chercher un écrivain qui le dépasserait. Il n'aurait peut-être pas soupçonné que c'est une femme qui réaliserait cet exploit. En lisant La version qui n'intéresse personne, je me disais : je pense qu'il aurait capoté sur elle. Elle ne le surclasse peut-être pas, mais elle se situe dans un même voisinage. Son roman, à Emmanuelle Pierrot, pour moi, se classe très haut – pas juste dans la littérature québécoise, mais dans toute la littérature francophone. Bon, après, la comparaison s'arrête là. Mistral a un historique de violence ; dans son roman, Pierrot, par le biais de sa protagoniste, elle la combat.

Le parallèle avec Jack Kerouac a plus de sens.

Dans mon billet précédent, je disais avoir recherché l'influence de celui-ci sur la gente dame punk ; je n'étais pas assez loin dans ma lecture encore, car à un moment donné, dans ce livre, il est justement question de Jack Kerouac et du bouquin On The Road.

En tout cas. Fuck ces considérations ! Fuck les influences ! Ça brasse, ça bouge, ce roman. Il a ses qualités propres. C'est un décapant et effrayant portrait de l'être humain.

Le style ne m'accrochait pas particulièrement au départ, mais l'émotion est là, et c'est l'émotion, qui fait le véritable style. Et je trouve qu'Emmanuelle Pierrot a cette capacité à se lancer dans de petites envolées lyriques, succinctes, bien placées, par exemple pour décrire la nature.

J'aurais envie d'exprimer un bémol, mais est-ce un bémol ? Au départ, on est beaucoup dans l'enchaînement d'anecdotes. Ça parle beaucoup de boisson, de sexualité, de choses trash. C'est correct. À la rigueur, on peut y déceler une succession de petites aventures. Ça campe assurément bien l'univers. Ça prend un moment avant que l'histoire embraye, qu'on sente qu'il y a une direction. En même temps, c'est un beau pied de nez à ces procédés narratifs très populaires de nos jours.

Voici des passages que j'ai appréciés :

« Elle avait soif. Moi aussi. Je me suis allumé une cigarette. J'avais envie de rebrousser chemin, de retourner chez nous. Le soleil brillait, le lac étincelait comme du verre brisé. Au loin, un orignal broutait des algues, son corps presque immergé. J'espérais que Luna n'irait pas le déranger, je ne voulais pas qu'elle se prenne un coup de sabot. Par chance, elle n'aimait pas l'eau. Il me restait des morceaux de hareng séché dans mes poches, je lui en ai filé quelques-uns. Elle les engouffrait sans les mâcher. Elle était belle. Tom est venu me rejoindre. »

« Et c'est là qu'elles nous sont apparues, celles dont tout le monde parle, celles qui, chaque hiver, déçoivent par leur absence des centaines de touristes venus d'Asie et d'Europe, celles que les Dawsonites ridiculisent entre eux mais ne cessent jamais de chérir en secret ; c'est là qu'elles me sont apparues, les ostie d'aurores boréales du câlisse : des langues rouge vin qui léchaient le cosmos, des océans rose pastel et leur miroitement vert et mauve phosphorescent. Je n'ai pas pleuré. J'aurais pu. Si la beauté du monde avait suffi à compenser la connerie humaine, j'aurais pleuré de grâce. Mais la beauté ne sert à rien. »

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