mercredi 26 juin 2024

Il a traduit ma pensée, capté mon état

J’ai compris le danger de tricoter mot sur mot, d’écrire phrase après phrase, car ça ne traduit pas ce que l’on a sur l’estomac ; l’estomac qui s’agite comme un alphabet coloré, comme un dragon chinois dansant dans un défilé.

C’est comme s’il fallait plusieurs paires de mains en simultané pour écrire tout ce que l’on a à écrire, du premier coup, nettement et sauvagement.

Essayons alors : 

J’avais tout, ces choses-là s’organisaient en hélices autour du cœur de mon existence, j’avais tout : une prison familiale de moins sur les épaules, une vie montréalaise excellente, éclatante et étincelante, de la timidité compensée par du rire, des rêves à foison, à la pelletée, j’avais encore : de la poésie qui me pissait en fine encre du bout des doigts, des aspirations universelles, des aspirations locales, la volonté d’être tout à la fois sans me douter de mon absence de capacité matérielle, j’étais un jeune homme sage avec des polos Simons bariolés sur le point de s’armer les poignets de bracelets et de prendre une tangente bohème. J’étais somme toute assez sacrément heureux, acharné dans l’écriture, je commençais à tâter d’autres rêves, je sentais que j’avais mon propre rythme respiratoire. La vie était une grande salle de classe où je cueillais les apprentissages susceptibles de m’illuminer l’esprit, et je fuyais les vraies salles de classe. Ma vie, ma jeune vie était baroque, infinie, sucrée. Jeune Montréalais, jeune Jim Morrison doté d’yeux bleus, j’avais presque touché mon soleil d’un doigt tremblant. J’avais la vieillesse intérieure d’un sage tibétain, mais l’extérieur d’un paon qui fait de fameux pas de danse. Drapé de jeunesse, moiré d’horizons, mon existence commençait tellement à ressembler à quelque chose que j’appelais volontiers ma vie une vie. 

Puis, l’hiver.

 *   *   *

 *   *   *   *

Suis sorti de chez moi, j’ai cherché autre chose. Autre chose que le jardin que j’avais créé. Autre chose que le rythme que j’avais conçu.

Mes stratégies existentielles ? Essayons plutôt celles des autres.

Écartons l'autodidacte.

*

Depuis maintenant deux ans peut-être, je me reconstruis une vie un peu plus comme moi, un peu moins comme une nuit vidée de son air. J’avais, ces derniers temps, l’impression de renouer avec l’époque que j’évoquais au début de ce billet. Simple nostalgie, pensais-je. Rapprochements possibles ; lumière semblable ; mais nostalgie tout de même.

Si je m’autorisais à cette comparaison, du moins, je me devais de constater mon évolution. Je suis à présent plus sage, plus structuré, me disais-je.

Toujours est-il, dans l'espace de cette renaissance, j'écrivais des poèmes comme celui-ci :

Tu es en grave danger d'amélioration
Si tu lèves les yeux au ciel

Tu es en grave danger d'amélioration
Si tu oses prendre ta route

Tu es en grand danger d'expansion
Danger, parlons du goût de vivre
En grand danger d'expansion
Si tu affames les destins
Fondés sur le bruit parasite

Tu es en accoutumance du vertige
Si tu défies les sentiers battus

Tu es lumière pour le soleil
Matériel humain qu'il affectionne
Répertoire qu'autrui consulte

Ainsi, il y a quelques jours, j’ai passé du temps avec ce vieil ami.

Dans un accès de lucidité presque effrayant, il a procédé à une lecture inopinée de ma personne : 

« J’ai l’impression de retrouver le Guillaume de jadis. Comme si tu étais plus léger. Bohème comme avant. Mais avec plus de sagesse. Plus de stabilité. »

Wow ! Je ne lui avais pas fait part de mes observations. C'est ça qui arrive quand tu chilles avec des mages. Ces sacrés clairyovants !

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